Sujet: [Chaü ~ An 6] Les Ailes de Ciend Mar 23 Déc - 19:23
Les Ailes de Ciend
Quel ennui, pensa Ézéchiel. Après deux heures infructueuses de pêche, le jeune garçon décida que s'en était assez. Bien qu'il ruminât sa rancune envers sa bonne étoile, Ézéchiel ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Ses camarades lui avaient pourtant bien dit que l'étang Blanpuy était dénué de poisson. Mais insoucieux du dire d'autrui, le disciple s'y rendit avec une lueur de défi, canne à pêche en main. De quoi aurait-il l'air maintenant, rentrant bredouille au monastère ? Les autres se moqueront de lui, à ne pas douter. Et s'il venait à cogner quelqu'un, Mestre Renoir le sermonnerait pour la centième fois cette décade-ci. Non. Il devait éviter les problèmes.
⁂
Arrivé au mur d'enceinte, Ézéchiel contourna l'édifice. D'habitude, il serait rentré pour accéder aux jardins avant de franchir la porte principale du monastère. Mais cette fois-ci, personne ne devait le remarquer. L'édifice était immense, faire le tour lui prit un certain temps. Il finit par atteindre l'écurie qui se tenait sur le flanc droit du mur. Ici, les rares disciples travaillant avaient bien assez de soucis avec les chevaux que pour s'intéresser à lui. Ézéchiel escalada l'une des chaumières et sauta habilement sur le rempart. Il n'en était pas à son premier coup d'essai. Après quelques gestes acrobatiques sur le couvre-chef pierreux des établissements, le jeune garçon s'installa sur le toit du clocher. Bien qu'étroit, le bâtiment était suffisamment haut pour cacher quiconque s'y oserait. Le garçon était bien, contemplant l'horizon d'un ciel d'azur à l'herbe verdoyante. L'altitude provoqua régulièrement une bourrasque qui rafraîchissait son corps bombardé par les rayons du soleil. Aussi, le Gyfold l'accompagnant s'amusait à tenir en équilibre sous la force du vent, faisant timidement sourire son maître. Ézéchiel songeait au passé, philosophant sur ce qui se produit et ce qui se produira. Il se souvint de sa rencontre avec l'inquisitrice et de l'effroyable affrontement avec Kargaroth, le détenteur du bâton sacré. Jamais il n'aurait à nouveau pareille occasion.
« C'est donc ici que tu te caches », interpella une voix enjouée.
Surpris, le jeune disciple se redressa d'un bond en dégainant, prêt à se défendre. En retour, il reçut une déferlante de rire à gorge déployée. Cette voix, il la connaissait. Nul doute : c'était Sarah.
« Du calme preux chevalier. Je ne vais pas te mordre ! », taquina-t-elle en caressant le cou du Gyfold.
Sarah était une moniale de la collégiale Roncesainte, fidèle à Ciend. Elle y apprenait l'art du chant et des mondanités. Celles qui en ressortaient après ces dures années d'études entraient généralement à la cour d'un noble ou finissaient comme barde pour les moins "raffinées" d'entre elles. Ce qui devait certainement attendre Sarah. La jeune fille était élancée, les traits du visage fins aux cheveux bouclés. Des taches de rousseur parsemaient son nez – ce qui se mariait magiquement avec la rousseur de ses boucles. Ses maîtresses clamaient haut et fort que les hautes sphères du royaume se l'arracheraient. Pourtant, Sarah était un véritable garçon manqué. L'aventure. Voilà ce qui la passionnait ! Partir, luth et épée en main, pourfendre les créatures abominables du royaume ; traverser la Mer Australe aveuglément ; rencontrer les habitants du nord... Tant de chose qu'elle désirait et que sa condition de sœur l'empêchait.
« Dame Aurore va encore te disputer, Sarah. Elle sait que tu viens rendre visite aux garçons », répondit calmement Ézéchiel en rengainant.
« C'est vrai, affirma-t-elle avant de bomber le torse en posant les poings sur les hanches. Mademoiselle Sarah Mausar, imita-t-elle d'une voix grave et imposante, je ne tolérerai plus de tels agissements au sein de notre collégiale. Votre comportement est honteux, jeune fille. Que diraient vos parents si cela s'ébruite ! Vous mettez la réputation de l'école en danger, c'est inadmissible ! », finit-elle sur une touche théâtrale avant de s'écrouler de rire.
Ézéchiel pensa aussitôt à Mestre Renoir grondant ce genre de propos assommant et se mit à rire à son tour. Bien que Sarah était une fidèle du faux Dieu, le jeune disciple avait de l'amitié pour elle, allant jusqu'à la considérer comme une amie. Parfois, lorsque les circonstances l'obligeaient, les deux jeunes gens se croisaient ici, loin des soucis quotidiens. Alors ils parlaient, se racontaient leurs rêves, leurs chagrins. Et lorsque l'aube déjà se levait, ils se disaient au revoir, promesse d'un autre rendez-vous dans un temps incertain.
⁂
Mais cette fois-ci, Ézéchiel partit plus tôt qu'à l'habitude. Fatigué moralement par la pêche d'infortune, il prit congé auprès de son amie avant de descendre dans l'arrière-cour du monastère. Les couloirs étaient silencieux, tout le monde dormait déjà. Seul le crépitement des torches gênait le silence et l'obscurité des lieux. Alors qu'il fit attention à ne pas provoquer de bruit en ouvrant l'énorme porte du hall, une voix monotone le fit tressaillir.
« Monsieur daigne enfin nous faire l'honneur de sa présence, railla le concierge Rupert. Veuillez me suivre, il vous attend. »
L'homme n'avait pas besoin d'en dire plus. Ézéchiel savait pertinemment de qui il parlait. Escaladant les marches de la tour, le jeune disciple se préparait psychologiquement à endurer les sermons de Mestre Renoir et se verrait sans doute obtenir un aller simple pour l'isolement une journée ou deux sans nourriture. Ce qui ne plaisait guère à son ventre grondant famine. La petite porte qui s'ouvrit devant lui l'arracha de ses pensées, dévoilant une faible lueur de bougie posée sur un bureau enseveli sous une tonne de paperasse. Tout autour, une énorme bibliothèque agrandissait les lieux. Les vitraux colorés reflétaient la lueur de la lune, donnant un aspect bleuté idyllique à la salle, contrastant avec la chaleur du chandelier. Derrière le bureau, l'on distinguait une masse voûtée à la respiration difficile. Renoir était là, plongé dans l'écriture d'un texte sacré. Lorsque la porte se refermât brusquement, le vieil homme leva les yeux cernés de fatigue et déglutit avant de prononcer quelques mots.
« Toujours aussi délicat ce Rupert, dit-il sans étonnement, comme si sa longue vie lui avait apporté son lot d'absurdité. Assieds-toi, nous avons à parler. »
« Mestre, cet homme, euh. »
« Silence. Tu n'es pas là pour parler de tes fugues nocturnes – bien que cela commence sérieusement à me déplaire », ajouta-t-il entre deux sifflements de respiration.
Le moine se leva lentement et souleva le grimoire travaillé difficilement, comme si le poids du monde reposait dedans, avant de le ranger soigneusement dans une étagère de la bibliothèque colossale.
« À vrai dire, c'est une missive qui t'a amené ici. D'ordre officiel. »
Ézéchiel fit une moue perplexe, ayant peur de comprendre le sens de ces mots.
« L'inquisitrice l'envoie en mission ? »
« C'est exact. J'ignore ce qu'elle manigance, mais il est certain qu'elle veut ta mort. »
Le garçon eut un frisson d'effroi. Sa mort ? Comment ça ? Cela n'avait pas de sens, pas après leur entretien intime il y a peu. Cela ne collait pas.
« Que dit cette missive, Mestre ? »
« Tu dois partir pour le Sud. Au cimetière des nuages. Là-bas, tu devras découvrir une ancienne relique. Fais attention, Ézéchiel, cet endroit regorge de dangers que tu ne doutes pas. »
« Une relique ? Lança-t-il nerveusement sans se soucier des avertissements de l'ancien. Du Très-Haut ? »
« Non. Ézéchiel. Non. De Ciend, le Marche-Vent. »
Ézéchiel
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Sujet: Re: [Chaü ~ An 6] Les Ailes de Ciend Jeu 25 Déc - 4:26
Les Ailes de Ciend
Ézéchiel marchait d'un air songeur à travers champ. Tôt ce matin, il fit ses bagages pour partir vers le Sud, n'ayant pu dormir qu'une heure ou deux. Ses escapades nocturnes lui auront coûté cher cette fois-ci : il n'aura pu ni manger ni dormir. Voilà de quoi en tirer une leçon. Pourtant, ce n'est ni la faim ni la fatigue qui lui nouèrent l'estomac. Que voulait dire Mestre Renoir par "vouloir sa mort" ? Ézéchiel se rappelait parfaitement des avertissements de la Dame, l'envoyer au casse-pipe n'avait aucun sens. Au moins, il n'avait pas à endurer un temps capricieux pour le voyage. Il était étonné de la météo. Ce temps parfaitement frais ne correspondait pas à la province ; adjacente à la région ardente. Pourtant, le jeune homme ne souffrait aucunement de la chaleur tant la bise était régulière. Il songea même à s'installer là, au bord du sentier, pour déguster son repas. Son regard se rembrunit à l'évocation du dîner. Pressé par le temps et l'autorité du Mestre, Ézéchiel ne put emporter qu'une mince provision avec lui, assez de quoi faire l'aller-retour sans interruption. S'il venait à céder à la tentation avant la frontière du Col venteux, il pouvait dire adieu au repas du soir. La marche était longue, même pour le Gyfold qui se reposa à plusieurs reprises sur l'épaule de son maître. Ézéchiel ne bronchait pourtant pas. Peu de kilomètres avaient été parcourus. Et puis, il n'était pas bon de s'arrêter par ici. Les rares paysans que le disciple rencontrait l'évitaient comme la peste. Tous n'était pas adhérant à la religion du Très-Haut. Certains voyaient ça comme une secte dangereuse pour l'ordre et les bonnes mœurs, allant jusqu'à ragoter la pratique sexuelle entre frères. Ézéchiel ne leur en voudrait pour rien au monde, il est normal depuis que le monde est monde que le peuple hait le changement. La remise en question est un chamboulement psychologique que peu sont capables d'encaisser. Alors que le duo peinait à suivre la course du soleil, les pieds las et engourdis, une insigne rustique apparut au loin, promesse de délivrance : une auberge. Puisant le peu d'énergie qu'il lui restait, Ézéchiel poussa la porte grinçante de l'établissement et balaya l'environnement d'un regard prudent. C'était une bicoque qui de taverne ne portait que le nom. Les chambres, au nombre de deux, étaient situées dans la mansarde, étroites et rudimentaires. Le rez-de-chaussée était composé de quelques tables et chaises, ainsi qu'un âtre si petit qu'on en venait à se demander comment chauffait-il la salle en hiver. Enfin, le comptoir faisait coin dans la partie gauche des lieux, donnant accès sur le garde-manger d'où émanait une agréable odeur de viande salée.
« Merci », acquiesça Ézéchiel du chef avant de refermer la porte d'entrée.
« On a d'l'eau-de-vie ; du rhum ; de-- »
« Cet homme est en quête, brave gens. Un verre de lait glacé lui suffira. », interrompit le jeune homme.
« Oh, c'tout à vot'honneur ! Installez-vous donc, j'vous apporte ça fissa. »
Ézéchiel scruta une seconde fois l'endroit. Celui-ci lui semblait moins miteux qu'au premier regard. Peut-être que la personnalité chaleureuse du patron bedonnant en était pour quelque chose. Il était rare dans son métier de croiser une telle gentillesse désintéressée. Le monastère était régit sur la loi de la récompense et du mérite. Sourire était de ces futilités gratuites que les disciples évitaient volontairement. Seul Beauvoir en était exempt, ce qui n'étonnait plus Ézéchiel de leur amitié.
« Alors, dites-moi, engagea l'aubergiste en posant le verre, sauf vot'respect, c'pas tout les jours qu'on r'çoit la visite d'itinérants par chez nous. Qu'est-c'qui rameute bien une âme vagabonde dans la région ? D'autant qu'vous avez une drôle de façon d'parler ! »
« Cet Homme n'est pas étranger au royaume, sourit Ézéchiel. Il appartient à l'Ordre Néphélim ; c'est à quatre heures de marche au Nord de Pierrêche. »
« Oh, j'vois, dit l'homme d'un air songeur en tortillant son énorme moustache. J'ai entendu pas mal de choses bizarres à vot'sujet. On raconte de drôles d'histoires, le genre qu'est pas beau à entendre », dit-il à messe basse comme si une autre âme pouvait les entendre dans ce lieu désolé.
« Hélas, vous ne lui apprenez rien... Le monastère a connaissance de sa réputation auprès des petites gens. Et au grand dam de nos supérieurs, les hautes sphères de la capitale ne semblent pas nous porter dans leur cœur non plus. »
« Oh ! Poussa le patron en frappant des mains. Z'êtes allé jusqu'à la capitale, messire ? Ma fille et moi rêvons d'y aller. Par les burnes de Ciend, ça oui alors. Oups, répliqua-t-il honteusement, excusez ma sale langue, messire, c'est que j'n'ai pas r'çu d'éducation étant môme, voyez. »
« N'ayez crainte, vous lui êtes plus agréable que certaines connaissances aux instructions démesurées. Soyez fier de votre personnalité, gentilhomme. »
Nommer l'individu par un titre de noblesse valut à Ézéchiel une admiration sans fin, se voyant recevoir une multitude de verres jusqu'à plus soif. Évidemment, l'homme ne put s'empêcher de présenter sa tendre enfant, aussi gracieuse qu'un porc dans la boue, dans l'espoir de s'appeler beau-papa. Le temps passa. Le trio s'amusait tantôt face aux pitreries du Gyfold tantôt par les commérages les plus pittoresques. Régulièrement, la jeune femme, répondant au doux nom d'Adrienne, découvrait son décolleté afin de faire comprendre l'opportunité à saisir, sous les yeux miroitant du père qui avait quelques verres de trop dans le nez, certain des futures épousailles. Après une longue après-midi riche en émotion, Ézéchiel conclut qu'il était temps de s'éclipser lorsque la bonne famille commença à parler descendance. Promettant de revenir très vite une fois sa tâche terminée, le jeune disciple se remémora l'emplacement du lieu pour ne jamais y remettre les pieds. Mais mentir ne semblait pas nécessaire. Sortant à peine de l'auberge, le jeune homme tomba nez-à-nez avec Sarah, les yeux écarquillés.
« Enfin te voilà ! », bouillonna la sœur.
« Tu cherchais cet Homme ? »
« Évidemment, abruti ! S'emporta-t-elle visiblement. Dès que Beauvoir m'a fait part de ta quête, je suis directement venue te rejoindre. »
« Hey la roussette, tu parles pas comme ça à mon fiancé ! », intervint Adrienne tout en mastiquant nonchalamment.
« C'est qui elle ? », s'étonna Sarah, mitigée entre l'outrage et l'hilarité.
« C'est... une longue histoire. »
Face à ces paroles, la jeune paysanne eut le cœur brisé, ce qui rendit le père fou de rage. Le duo d'infortune dut s'éclipser le plus rapidement possible sous une pluie d'injures et de menaces. Une chose était certaine : il ne remettrait plus les pieds ici.
⁂
La nuit était tombée sur la plaine. Le ciel découvert offrait une myriade d'étoiles étincelantes. Marchant côte à côte, les deux jeunes gens s'échangèrent quelques paroles comme ils avaient l'habitude de faire sur le toit du clocher. Ézéchiel était gêné par la présence de Sarah. Il avait pour habitude de travailler seul. Avoir un confrère était une grande première pour lui, c'est pourquoi il réfléchit une grande partie du trajet à comment refuser son invitation.
« Sarah, à propos de la quête, il-- »
« C'est non. », coupa-t-elle sans daigner le regarder.
« Comment ? »
« Je sais ce que tu vas dire, gros égoïste. C'est non. Je n'ai pas cavalé une matinée entière pour rentrer bredouille. »
« Cet Homme ne t'a rien demandé », dit-il brusquement.
« Ah tiens, on joue les solitaires maintenant ? Pourtant ma présence ne semble pas te déranger sur le clocher ! », piqua Sarah, visiblement offusquée.
Ézéchiel resta un moment sans répondre, atteint amèrement par la réflexion. Il se souvint de ce que disait Mestre Ronald à propos des femmes : leur venin était le plus doux au monde, mais aussi le plus mortel. Ézéchiel semblait mature pour son âge, or il n'avait jamais connu de femme. Se pouvait-il qu'il se faisait berner par cette barde depuis le début ? Lorsque leurs regards se croisèrent tandis qu'il la dévisageait, empli d'interrogations, celle-ci aborda une nouvelle fois le sujet fâcheux :
« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as encore quelque chose à me reprocher ? »
« No-non, euh, c'est juste que cet Homme ne comprend pas ton ardeur à vouloir le suivre. »
Sarah soupira longuement avant de s'arrêter brusquement, dévisageant son ami. Son regard s'assombrit, empli d'une tristesse palpable.
« Ézéchiel, sais-tu ce qu'il se passe en ce moment dans le monde ? »
« Vu ton expression, cet Homme en doute fort. »
« C'est la guerre, Ézéchiel. Les morts se sont réunis. Seda est en proie au feu et aux armes. Ils se font appeler les Malemorts. On ne sait pas ce qu'ils veulent si ce n'est la destruction et le chaos, se mit-elle à pleurer. Ma mère est morte hier matin, par leur faute. Et des nouvelles du Sud disent que le groupe a été vu près du cimetière déterrant les cadavres. Je ne veux pas te perdre, Ézéchiel. Toi et Beauvoir êtes la dernière famille qu'il me reste. »
Ézéchiel ne put rien faire d'autre que de la prendre dans ses bras, conscient du chagrin qu'elle endurait. Ce fléau qui s'abattait sur le royaume n'envisageait rien de bon. Soudain, il se mit à penser à Kargaroth. Ce monstre était-il pour quelque chose ? Sans doute. Si seulement le Très-Haut pouvait lui montrer la voie. Rendre ce monde meilleur. La mère de Sarah n'aurait pas eu à mourir.
« Un fois que la relique sera en sécurité, articula-t-il d'une voix grave, cet Homme débusquera le chef des Malemorts ; et il vengera ta mère. »
Ézéchiel
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Sujet: Re: [Chaü ~ An 6] Les Ailes de Ciend Jeu 25 Déc - 18:33
Les Ailes de Ciend
L'aube pointait enfin à l'horizon. Le chant des oiseaux déjà parcourait l'immensité de la plaine où miroitait la rosée matinale à travers les premiers rayons du soleil. Ézéchiel se retourna lourdement, poussant un râle de satisfaction en s'étirant. Au centre du campement, Sarah était là, accroupie et faisant mijoter le repas de midi.
« Enfin levé ? Salua-t-elle d'un timbre joyeux. Tu as dormi toute la matinée, m'est d'avis qu'il n'y avait pas que du lait dans ton verre. Ta fiancée devait s'assurer toutes ses chances. »
« Le mal de crâne de cet Homme semble être de cet avis, peina à prononcer le jeune homme. Et ce n'est pas sa fiancée », ajouta-t-il, las de cette boutade.
Ézéchiel se releva difficilement, le monde semblait flou et ses membres alourdis. Jamais il n'avait connu ça auparavant. La première chose claire qui lui traversa l'esprit, c'est Sarah. Avaient-ils couché ensemble sous l'effet de l'alcool ? La barde n'était pas de ceux-là, s'offrant au premier venu. Mais Ézéchiel avait appris à se méfier même de son ombre. Soudain, le jeune homme fut extirpé de ses pensées par l'apparition subite du Gÿfold, saluant son maître farouchement. Ce qui provoqua l'amusement de Sarah qui semblait avoir séché ses larmes. Ézéchiel pensa à leur conversation d'hier. Jamais il n'aurait pu deviner qu'un chagrin aussi immense s'était emparé d'elle. Ni au monastère ni à l'auberge. Il admirait son courage. Elle n'avait pas reçu l'éducation de l'Ordre, pourtant elle maîtrisait parfaitement ses émotions et pouvait les masquer à son gré. Elle était réservée et réfléchie ; le contraire de l'inquisitrice, s'étonna-t-il à comparer.
« Un ragoût de lapin, prononça Sarah. J'espère que tu aimeras, j'ai du courir une bonne heure pour en attraper un. Les plaines en regorgent à foison, mais ils sont réputé pour être les plus rapides du pays. », se vanta-t-elle faussement.
Ézéchiel percevait dans son regard une once de regret. Le duo se connaissait depuis un an, à peu près et pourtant, ils n'avaient fait qu'aborder la surface de leur vie privée. Avait-elle des remords quant à cette confidence ? Sans doute. Devait-il la rassurer ? Certainement pas. Sarah était trop fière que pour ne serait-ce recevoir le réconfort d'autrui. Encore moins venant de l'homme qu'elle considérait comme son rival. Ézéchiel avait beau évité le conflit, Sarah adorait l'entraîner dans une série d'épreuves pour savoir lequel des deux était le plus expérimenté. La plupart du temps, Ézéchiel triomphait. Non que cela était inné chez lui, mais il se donnait à fond sachant que l'inverse blesserait l'ego de la jeune femme.
« Merci. », répondit Ézéchiel en recevant son bol chaud.
« Nous partons dans un quart d'heure, si nous voulons atteindre le village de Rohuit avant le crépuscule. »
« Pourquoi faire escale là-bas ? »
« La ville est en période de fête, célébrant leur quinzième année depuis la mort du chef Kobold Raeg'Shuu. Les prix sont réduits et la nourriture est gratuite pour les résidents. Mon oncle vit là-bas. »
« Et cela nous fait un détour de combien de temps ? », s'inquiéta le jeune disciple.
« Environs deux à trois heures. »
« C'est beaucoup », songea-t-il, prêt à refuser.
« Ézéchiel, nous avons besoin de ces provisions. Le cimetière des nuages regorge de danger, que ce soit à la périphérie soit au cratère. Sans parler des hommes de Renoît. »
« Renoît ? », s'interrogea-t-il.
« Sylvain Renoît. La pourriture qui dirige les Malemorts. »
Un silence malsain s'installa entre eux. Non seulement Sarah évoquait une fois encore ce sujet difficile, mais aussi la promesse d'Ézéchiel de venger sa famille. Celui-ci serra les poings, avant de continuer.
« Allons-y, nous ne devrions pas perdre de temps dans ce cas. »
⁂
De loin, l'on pouvait déjà distinguer les centaines de ballons qui s'élançaient vers le ciel. La musique résonnait entre les remparts et une foule condensée s'enfonçait dans les veines de la ville. Les uns chantaient les autres dansaient. Certains étaient vêtus de costumes à l'effigie des hommes-lézards, d'autres encore lorgnaient d'un œil expert les potentiels richesses à voler sous les hurlements de la garde qui peinait à faire régner l'ordre dans ce vacarme. Mille et une couleurs embellissaient la cité. Au loin, le palais royal avait ses portes grandes ouvertes et du balcon majestueusement garni de drapés d'or suspendus, l'on pouvait distinguer le roi et la reine saluer le peuple admiratif.
Enseveli sous la foule, Ézéchiel ne savait où donner de la tête, remerciant maladroitement les gens qui lui passèrent un collier autour du cou et rendant bêtement le sourire des jeunes filles qui le bousculaient volontairement. Sarah, habituée à ce genre d'événement, semblait dans son milieu naturel, dansant avec qui le veut, riant la tête en arrière pendant une farandole. Pour la première fois, Ézéchiel contemplait la jeune femme avec un autre regard. Il était admiratif, jaloux peut-être, de cette faculté à libérer ses sentiments publiquement.
Soudain, il sentit qu'on agrippait sa main. C'était Sarah.
« Viens, suis-moi ! »
Sans pouvoir donner son avis, Ézéchiel se vit entraîner à travers la foule, tenu fermement par la jeune femme, sinuant entre deux groupes pour enfin s'extirper de l'agitation.
Courbée, les mains appuyées sur les genoux, Sarah ahanait pour reprendre son souffle.
« Piouf... Ça fait longtemps que je n'ai plus fait ça. Dame Aurore en perdrait son jupon de me voir ainsi », s’esclaffa-t-elle.
Ézéchiel ne répondit pas, encore sous le choc de cette aventure, les oreilles bourdonnante. Après une minute à reprendre son souffle, le duo s'en alla vers le bas quartier. Là-bas, l'ambiance était moins présente. Parfois, un petit groupe s'en allant ou venant de la fête provoquait un brouhaha inaudible dans les ruelles sous l'effet de l'alcool. Les maisons semblaient vides ou du moins, prêtes à l'être. Sarah s'arrêta finalement devant un escalier en angle droit. L'édifice était rustique, adjacent à un énorme pont en pierre, du lierre poussait çà et là sur la devanture, lui donnant un aspect idyllique.
Frappant à plusieurs reprises à la porte, une vielle dame finit par ouvrir.
« Sarah ? Est-ce bien toi ? »
« Oui, Anne. Mon oncle est-il là ? »
« Oh mon enfant... J'ai bien peur que Victor soit parti rejoindre ton père à la guerre... »
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